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Cher Platon,

Je vous écris, vous ne me connaissez pas, mais moi oui. Vous êtes l’auteur de la fameuse grotte qui hante l’humanité de son ombre depuis trop longtemps. Vous ne m’avez jamais consultée moi la femme, et j’ai suffisamment attendu. Je vais donc vous dire ce que vous semblez ignorer.

La grotte sur laquelle se reflètent les ombres, je l’ai appris à mes dépens au fil des siècles, n'était que la peur de moi-même. On m'en a enfin informé. Celui qui m'en a informé, c'est mon corps vivant, celui qui m'en a sorti, c'est le désir de mon propre corps, de ma propre vie. Ce désir enfin dilaté, après avoir été analysé, conceptualisé et passé dans la moulinette de votre logorrhéique Logos. Aujourd'hui, ce désir je l'appellerai « elle », car depuis tout ce temps, l’homme qui s’est inscrit dans votre lignée n’en a rien fait.

Vous comprendrez que je décide de quitter cet endroit nauséabond dans lequel l'humanité toute entière est prisonnière. C'est le corps éveillé que je choisis de sortir, de me libérer de vos lois et d'entrer dans le monde. Non, je n’ai pas peur de moi-même. Ce moi-même, je ne veux pas le connaître, lui me connaît mieux que personne. Et lui a peur de vous. Goûtée, analysée, explorée, il s’avère que cette peur je ne l’ai pas reconnue. Sans doute, est-ce la vôtre ! J’évite le gouffre infernal de l’introspection, je saute par-dessus le canyon sans fin de la dialectique, et je m’enfuis à toutes jambes de la caverne des horreurs !

Vous serez sans doute étonné, cher monsieur, qu’une fois sortie de la grotte le soleil ne m’accable pas, non, tout se passe bien ! Il réchauffe mon corps, nourrit mon âme, rencontre à travers mes pores la vie qui déferle si intensément dans mes cellules. Au contact de son propre mystère, mon corps n’a que faire de vos interprétations, il n’a pas besoin d’être éduqué, lui n’a pas peur, car il a sa propre loi, et sa propre intelligence. Il est le lieu dans lequel le mystère s’incarne, c’est lui qui l’a choisi. Là mon ami, vos concepts, théories, et votre savoir fondent comme neige au soleil, et vous me pardonnerez ce jeu de mots sans doute un peu quelconque à vos yeux.

Retourner dans la caverne ? Vous n’y pensez pas ! Ou alors si, mais seulement pour voir danser mon ombre sur les parois en la joyeuse compagnie de femmes elles aussi sorties de cet enfer. Vous me trouvez impudente, incompréhensible dans ma parole et mon désir de vivre ? Mais enfin, cher philosophe, qui de nous deux heurte l’humanité, la rend toute petite, à genoux ? Une humanité, captive de cette prison mentale, réduite à repeindre sans cesse le même mur, avec l'espoir qu'il prendra la couleur du ciel ?

Admettez-le, j’ai bien meilleure mine. Mes yeux ne sont pas cernés par les insomnies, mes joues ne sont pas creusées par l’ascèse, mon dos n’est pas courbé par la honte de ma propre limite.

Dans le monde qui est le mien, je retrouve au-delà de vos limites cet espace où le corps respire et où je peux donner naissance à un autre esprit, ou du moins à une autre version de cet esprit, hors de toute logique.


Je ne vous embrasse pas, le désir m’en manque.

Bien à moi,


Une femme du lundi ?


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